« Lève-toi et marche »: Ce que Jesus a dit
Dans quel contexte Jésus prononce-t-il cette phrase?
Ce vigoureux « Lève-toi et marche » intervient au début d’une scène assez cocasse où des gens font descendre par le toit d’une maison un paralytique pour qu’il puisse avoir accès à Jésus, en train de parler à la foule. Durant les trois années de sa vie publique, Jésus a opéré de nombreuses guérisons: des aveugles, des sourds-muets, des malades atteints d’une forte fièvre, des paralytiques; et même effectués des résurrections de morts (Lazare, le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre) …
Les quatre évangiles en racontent dans le détail une petite trentaine, tout en précisant qu’il y en a eu beaucoup plus. Luc, Marc et Matthieu situent ainsi cet épisode au milieu d’une série de guérisons, juste avant une autre scène où Jésus se présente lui-même comme un médecin du corps, mais aussi de l’âme. Invité à un banquet avec des publicains et des pécheurs, il répond à certains convives troublés de le voir manger avec des « impurs »: « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent » (Luc 5, 31-32).
Quel est le sens de cette guérison?
En guérissant, Jésus remet l’homme debout – comme lui-même se lèvera du tombeau, vainqueur de la mort, au matin de Pâques. Il rend à l’homme paralysé, non seulement la santé physique, mais aussi la capacité à entrer en relation avec les autres: le malade réintègre la communauté des hommes et retrouve aussi son autonomie. Le paralytique guéri peut de nouveau « marcher » et prendre en charge son existence: « Lève-toi, prends ta civière et retourne dans ta maison », lui commande Jésus. Il est invité à porter le brancard sur lequel il était étendu, il y a encore peu. Par cette guérison, Jésus manifeste qu’il est venu apporter la vie dans toute sa plénitude: pas seulement la guérison physique, mais aussi la guérison de tout mal – commis ou subi.
Les guérisons qu’opère Jésus sont un signe qui révèle son identité de « sauveur ». Elles attestent que sa parole est vraie et que la victoire définitive de Dieu sur toutes les manifestations du mal est proche.
Ce ministère de guérison est-il nouveau?
L’étude des miracles évangéliques montre que Jésus n’est pas isolé dans l’histoire des religions. L’Ancien Testament recèle de nombreux récits de miracles, comme celui du prophète Élie qui réanime le fils unique de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 17-24) ou de celui de son successeur Élisée qui guérit de la lèpre le général syrien Naaman (2 Rois 5, 1-19). Au temps de Jésus, il existe des guérisseurs célèbres. L’historien juif Flavius Josèphe rapporte comment procédait Éléazar, un exorciste juif: « Il plaçait sous le nez du possédé un anneau dans lequel était cachée une racine indiquée par Salomon. Il la faisait sentir au malade et extirpait ainsi par le nez l’esprit mauvais. L’homme tombait aussitôt et Éléazar adjurait le démon de ne plus revenir en lui, en prononçant le nom de Salomon et les incantations composées par celui-ci » (Antiquités juives VIII). Il parle aussi d’un certain Theudas, qui prétendait renouveler les signes de l’Exode et dont on croise le nom dans les Actes des Apôtres (5, 36). Le Talmud – commentaire juif des cinq premiers livres de la Bible – évoque la « suite de miracles » opérée par le Rabbi Hanina Ben Dossa.
Face à cette profusion de miracles, la question n’est donc pas tant de savoir qui est capable de guérir, mais plutôt au nom de qui on prétend guérir et quel est le sens de la guérison opérée. Et c’est là toute la nouveauté du ministère de Jésus. Souvent, avant d’opérer une guérison, Jésus mobilise la foi de ceux qui l’implorent. Dans le texte qui relate la guérison du paralytique, il ne lui demande pas s’il veut guérir. Il lui annonce que ses péchés sont pardonnés. Pour les autorités juives, une telle affirmation est blasphématoire, parce que Dieu seul peut pardonner les péchés (Luc 5, 21). C’est pourtant pour leur montrer que « le Fils de l’homme a autorité sur la terre pour pardonner les péchés » qu’il ordonne au paralytique de se lever.
Ce renversement montre bien la place que les guérisons ont dans son ministère. « Elles ne sont pas un but en soi, elles sont le signe que ce qu’il est venu annoncer, le Royaume de Dieu, a déjà commencé », souligne le P. Jean-François Baudoz, exégète du Nouveau Testament et aumônier au Val d’Igny. Elles anticipent la restauration de l’homme blessé par le péché qui a déréglé l’univers et qui a fait entrer dans le monde la maladie, l’angoisse et la mort. « Elles sont le signe d’une réalité plus profonde qui est ce pour quoi Jésus est venu parmi nous: nous remettre dans une relation vivante avec son Père et les uns avec les autres », souligne le jésuite Claude Flipo (1).
Pourquoi Jésus ne guérit-il pas tout le monde?
Certains à Nazareth lui ont reproché, comme on pourrait le faire aujourd’hui, de ne pas guérir tout le monde. Lui-même a pris les devants: « Sûrement vous allez me citer le dicton: “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire: “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine!” » (Luc 4, 23). Or s’il ne guérit pas à Nazareth, c’est à cause du manque de foi qu’il constate dans sa patrie. « Ce n’est pas le miracle qui provoque la foi, mais à l’inverse, il est le fruit de la foi du malade », relève le P. Baudoz. C’est pourquoi dans la plupart des récits de guérison, Jésus sollicite la foi du malade, ou de son entourage, comme celle des hommes qui portent le paralytique sur sa civière jusqu’à lui. Ainsi peut-on dire que les guérisons s’inscrivent toujours dans le cadre d’une relation de foi. Toutefois, il serait abusif d’affirmer que ceux qui restent malades ont manqué de foi. Et s’il refuse de répondre à certaines demandes qui lui sont adressées, c’est parce qu’il ne veut pas être considéré comme un simple guérisseur. Le salut est plus grand et important que la guérison: on peut aussi être sauvé tout en restant malade ou handicapé, la relation à Jésus aidant à porter cette épreuve et à rester ouvert à l’amour des autres.
Quel sens donner à de tels récits pour aujourd’hui?
Les récits de miracles mettent en évidence que dans toute guérison, il y a une place pour le mystère. Pour les chrétiens, la guérison est toujours de l’ordre d’un don qui passe par des médiations humaines, des institutions (le système de santé) ou de la technique. Mais la médecine, aussi perfectionnée soit-elle, les praticiens, aussi dévoués soient-ils, ne peuvent pas tout. Ils doivent reconnaître la place du mystère de la vie qui opère dans tout processus de guérison. Non pas qu’il faudrait renoncer à la médecine et à ses découvertes. « Les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects, expliquait Benoît XVI dans son encyclique Deus caritas est (Dieu est amour). Ils ont besoin d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. » C’est pour cette raison que les chrétiens ont une longue tradition de présence et de soins auprès des malades, associant un souci de compétences professionnelles et des relations de qualité.
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